Le sacre du roi
La cérémonie dite couronnement du Roi Charles III est un sacre. Empreinte d’une dimension spirituelle, elle fait de lui un homme à part. Au Royaume Uni, les principaux éléments de ce rite millénaire remontent au moins à 973 lorsqu’Edgar convoque à Bath tous ceux qui avaient rang et dignité pour assister à sa consécration comme monarque.
Le sacre se déroulait dans divers lieux pour les rois anglo-saxons, Londres, Winchester ou Kingston mais peu de temps après la fin de la construction de l’abbaye de Westminster ce fut là qu’il se déroula dès 1065 pour le sacre du dernier roi anglo-saxon Harold. Depuis Guillaume le Conquérant jusqu’à Charles III, l’abbaye est le cadre d’un rite immuable dont l’ordo combine des usages remontant aux rois anglo-saxons et des compilations franques, en particulier celles d’Hincmar archevêque de Reims et de Charles le Chauve. Quatre recensions se sont succédé jusqu’à Henry III à la fin du XIIIe siècle. Ce dernier, couronné d’un cercle d’or à la hâte à l’âge de neuf ans dans la cathédrale de Gloucester, alors que Londres était aux mains des Français, insista pour obtenir du Pape une dispense afin d’être sacré et oint une seconde fois dans l’abbaye de Westminster en 1220.
Le déroulement du rituel est précis et immuable, même si chaque sacre est précédé par des mois de préparation au sein d’un comité où se côtoient les ecclésiastiques et les grands dignitaires, en présence du principal intéressé, le Roi, qui imprime sa marque ou ses inclinations. Le premier temps est la reconnaissance par laquelle l’archevêque accueille le monarque et se tournant vers les quatre points cardinaux déclare : « Messieurs, je vous présente ici votre Roi/Reine incontestable, pourquoi vous êtes tous venus ce jour pour rendre hommage et service, êtes-vous d’accord pour faire de même » et des quatre coins retentit la réponse « God save King Charles ».
Après l’acclamation du peuple, le Roi prête serment. Cette promissio Regis comportait, à l’origine, trois engagements : préserver la paix pour l’Eglise de Dieu et le peuple chrétien en tout temps, interdire la rapacité et l’iniquité à tous les degrés et garantir l’équité et la pitié dans tous les jugements. La formule a évolué depuis 1688, elle s’est adaptée à l’évolution du Royaume et de l’Empire. La Reine Elisabeth II s’engagea à gouverner ses peuples du Royaume, des dominions et des autres possessions et territoires conformément à leurs lois et coutumes, à assurer l’exécution des jugements selon le droit la justice et la pitié et enfin à maintenir les lois de Dieu et la vraie foi de l’Évangile, et préserver l’Église d’Angleterre, sa doctrine, son culte, ses évêques et son clergé, leurs églises, leurs droits et privilèges selon la loi. Puis la Reine s’était avancée vers l’autel et avait répété son serment avant de le signer. De la même façon, le Roi Charles III a déclaré, professé et témoigné de sa foi protestante et s’est engagé à garantir la succession au trône dans la foi et les lois au mieux des pouvoirs qui lui sont reconnus en droit. Il a également signé les copies des serments rédigés présentés par le Lord Chambellan.
Oint du Seigneur, le Monarque peut être investi : revêtu d’une robe de lin blanc sans manche avec un long manteau orné de soie et d’or, il reçoit les regalia, symboles de la royauté : l’orbe surmonté d’une croix, l’anneau représentant le mariage du souverain avec la nation, le sceptre à la croix d’or, le sceptre à la colombe ; des personnalités choisies présentent les éperons, les bracelets de sincérité et de sagesse, l’épée d’apparat ornée de roses, de chardons, de harpes et de fleurs de lys, à laquelle est substituée l’épée d’offrande plus légère, puis trois autres épées qui symbolisent la clémence, la justice temporelle et la justice spirituelle. Alors seulement, l’archevêque place la couronne de St Edouard sur la tête du souverain tandis que l’assemblée clame trois fois God save the King.
Contrastant avec l’éphémère onction du suffrage universel, ce rituel exprime l’incarnation de l’État et de la nation par le souverain autant que la nature spirituelle d’un Roi-prêtre conduit par l’Esprit Saint dans sa mission. Cela explique qu’il était impensable à la Reine Elisabeth d’abdiquer, comme à tous ses prédécesseurs.
Néanmoins, le rituel n’est pas figé. Le Roi Charles III a été fidèle à l’intention royale exprimée en 1911 d’aménager la cérémonie pour tenir compte de tous les pays de l’Empire devenus Dominions par l’effet du statut de Westminster, et d’harmoniser la tradition et les usages constitutionnels nouveaux ou l’évolution de la société. Aussi, les rites fixés en 1911 et observés depuis lors ― on peut y voir l’influence de Queen Mary pour laquelle la monarchie britannique était sacrée ― demeurent.
En revanche, l’assistance a reflété dans le passé l’évolution de la société. La liste des invités au sacre de Charles III a pu surprendre : certains grands aristocrates associés au pouvoir royal, parfois depuis mille ans, ont été exclus… Déjà en 1902 une série de nouveaux invités vit le jour avec les présidents des nouveaux conseils de comtés, les représentants des Églises non anglicanes, les maires de district de Londres et les représentants des professions légales et médicales. Trois cents sièges furent aussi assignés aux représentants des diverses parties de l’Empire, premiers ministres, gouverneurs mais aussi maharajahs, officiers et citoyens éminents.
Le sacre du Roi Charles a suivi de peu le jubilé de platine de la Reine Elisabeth puis ses funérailles grandioses en 2022, perpétuant un rite remontant au Moyen âge. Le sacre est un point d’orgue spirituel, national et politique. La monarchie est intemporelle, elle assure la continuité d’une nation qui, par-delà sa diversité et les aléas de l’histoire se perpétue dans l’espérance et la foi en son avenir. Inspirés par leur mission spirituelle, les rois savent aussi trouver les mots justes. Chacun se souvient de l’admirable message de Georges VI à son peuple aux heures tragiques de Noël 1939…
Au décès de la Reine Elisabeth le nouveau Roi Charles III exprima avec tact sa compassion à la tristesse du peuple anglais et sa peine personnelle, tout en assurant la continuité du devoir royal, avant même d’avoir prêté le serment du sacre… Comment ne pas se souvenir des derniers mots du Roi Louis XVI avant l’ultime sacrifice qui faisait écho à son sacre : « Je meurs innocent de tous les crimes que l’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France ».
Jean Yves de Cara
Professeur Agrégé des Facultés de droit. Membre de Littleton Chambers, Barristers, London Ancien Directeur exécutif de l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi. Président du Conseil scientifique de l'OEG.