Ukraine : le temps des « Léopard »

Soutien à l'Ukraine par l'OEG

La décision prise au début de l’année par les pays de l’OTAN de fournir à Kiev de nouvelles armes modernes et, tout d’abord, des chars allemands Leopard, a conduit à ce que le conflit en Ukraine entre dans une nouvelle phase d’escalade.

En fait, la fourniture à Kiev d’armes occidentales, ainsi que l’aide financière et le soutien politique et médiatique massif, ne s’est pas arrêtée pour un seul jour. Mais la question de la fourniture de chars lourds et d’autres types d’armes modernes à partir de la fin de 2022 appelle une attention particulière pour deux raisons.


D’abord, la prise même de décision sur l’envoi de chars en Ukraine a révélé une fois de plus la dépendance des Alliés en Europe sur la position des faucons, principalement des États-Unis (et accessoirement ceux de Pologne). À la fin de l’année dernière le chancelier Scholz avait prédit à l’Europe une catastrophe en cas d’envoi de chars allemands en Ukraine. C’est le même chancelier allemand qui, au début de 2023, a pris cette décision. Personne ne doute que cela a été fait, principalement sous la pression des alliés étrangers, notamment des États-Unis. À cet égard, la question se pose de nouveau de savoir dans quelle mesure les gouvernements des pays européens sont-ils égaux au sein de l’Alliance et indépendants dans la définition de leurs propres priorités stratégiques ?


Deuxièmement, et c’est le plus important, les livraisons directes d’armes lourdes constituent un pas évident vers la participation directe au conflit pour les nations qui les mettent en œuvre. C’est une chose de soutenir l’Ukraine économiquement et d’exprimer la solidarité politique et moral. C’est tout à fait une autre chose est d’envoyer des dizaines, voire des centaines, de chars (l’arme offensive par excellence). Si l’on ajoute que cela nécessite la formation des équipages, l’entretien, la réparation, etc. Même si ça ne conduit pas automatiquement à la participation des unités régulières de l’OTAN aux hostilités, cela augmentera certainement les risques de leur implication indirecte dans le conflit.

Depuis la fin de l’année 2022 et surtout après le sommet Ukraine-OTAN à Ramstein en janvier 2023, des experts de nombreux pays discutent avec enthousiasme sur le nombre possible de chars et de pays prêts à les fournir, de même que sur la distribution de nouveaux véhicules blindés dans les zones de combat, du système de recrutement et de recyclage des équipages etc. À cet égard, l’une des principales questions de toutes ces discussions est de savoir si le nombre total de chars prévu en Ukraine suffira non seulement à contenir les troupes russes, mais aussi à lancer une contre-offensive pour « libérer » les territoires russes reconquis, y compris la Crimée, comme Zélensky l’a déclaré à plusieurs reprises.


Probablement, la compréhension de ces nuances est vraiment importante pour les spécialistes militaires et techniques. Cependant, pour l’analyse géopolitique la dimension stratégique de cette fourniture d’armes lourdes à l’Ukraine revêt une importance beaucoup plus grande.

Guerre en ukraine
Soutien à l'Ukraine par l'OEG

Par exemple, il est évident qu’après avoir décidé de devenir les principaux fournisseurs des chars « Léopard » au régime de Kiev, les pays européens et, en premier lieu, l’Allemagne, ont affaibli l’équipement de combat de leurs propres armées. Compte tenu du fait qu’il est effectivement impossible d’augmenter simultanément la production des équipements aussi complexes et coûteux il faudra à ces pays recourir aux États-Unis, qui ont la possibilité de mettre sur le marché européen des armes lourdes presque sans concurrence.


Certains experts, analysant cette question, effectuent une analogie avec l’opposition à l’approvisionnement en gaz de la Russie, la destruction de “North Stream-2” et la proposition ultérieure de Washington de fournir aux Européens , contre espèces sonnantes et trébuchantes, le gaz naturel de schiste des États-Unis. Le pas suivant probable est la livraison des avions modernes, y compris les chasseurs F-16, selon le même schéma, dont la partie ukrainienne a parlé même avant la fin des négociations sur les chars.


Et pourtant, pour les Européens l’analyse politico-économiques et les jeux des gouvernements sur le marché des armes ne sont pas le plus important. L’essentiel est leur soumission aux ukases de la classe dirigeante des États-Unis dans le contexte ni la partie ukrainienne ni ses patrons occidentaux ne manifestent de volonté politique pour une fin réelle et non imaginaire du conflit.


Il ne sert à rien de commenter les déclarations irresponsables « sur la nécessité de vaincre la Russie sur le champ de bataille » ou « d’accorder immédiatement à l’Ukraine l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne ». Ces propos équivoques et provocateurs ne font qu’aggraver la spirale des tensions et réduire les possibilités d’entamer de vraies négociations. La seule façon de commencer le processus de paix est l’acceptation par les dirigeants ukrainiens et occidentaux comme point de départ des initiatives russes de décembre 2022, qui comprenaient le statut militaro-politique neutre de l’Ukraine, le refus d’installer des bases militaires sur le territoire de l’ex-URSS, la non-extension garantie de l’OTAN à l’Est, etc.


La confiance dans les politiciens ukrainiens et occidentaux de la part de la Russie est remise en cause par les déclarations récentes de l’ancienne chancelière Angela Merkel et de l’ancien président François Hollande selon lesquels les Accords de Minsk de 2015 n’avaient été rien qu’une manœuvre de diversion qui avait permis à l’Ukraine de gagner du temps, de s’armer et de se préparer au conflit ouvert avec la Russie. Quel aveu ! Dans son commentaire, le président Poutine a noté que « c’était vraiment décevant et confirmait une fois de plus que nous (la Russie) avons bien fait de lancer l’opération militaire spéciale. En tout cas, cela nous a fait réfléchir une fois de plus à qui la Russie a affaire »


Pour l’instant, il ne reste qu’à reconnaître qu’un tel contexte politique et moral ne contribue pas du tout au début du processus de paix. Ce qui signifie que le « temps des Léopard » ne va pas se terminer demain.

 
 
Dimitri Nikolaievich Baryshnikov

Dimitri Nikolaievich Baryshnikov

Professeur associé du Département de politique mondiale. Faculté des relations internationales de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg (Russie).

En savoir plus >>

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *