Walter Bagehot enseigne que « tout le monde et toute sa gloire, ce qu’il y a de plus attractif et de plus séduisant, a toujours été offert aux princes anglais mais qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à la meilleure des vertus là où la tentation s’exerce sous sa forme la plus éprouvante au moment le plus fragile de la vie humaine ».
La publication des Mémoires explosifs (Spare, Le suppléant) du Prince Harry marque le dernier épisode du psychodrame que vit le Duc de Sussex depuis son mariage avec l’actrice Meghan Markle. Est-elle de nature à ébranler la monarchie à un moment de transition entre un règne prestigieux et celui d’un Roi âgé et mal connu ? Certains ont hâtivement conclu à un affaiblissement du Roi Charles III et du Prince de Galles (William) voire à une crise du régime. L’inclination de la presse pour les chroniques scandaleuses, la vulgarité des révélations de l’auteur et l’esprit de lucre du couple ne sauraient affecter l’attachement populaire à la monarchie. Les sondages (YouGov) révèlent que 64% des Britanniques ont une mauvaise opinion du Prince et un quart seulement lui seraient favorables ; le 10 novembre 86% déclarent qu’ils n’ont absolument pas l’intention de lire son livre, 9% seulement se disent « impatients » de le lire.
Il est vrai que cette publication s’inscrit dans une suite d’événements médiatiques auxquels le couple princier s’est prêté et qui ont heurté le sentiment national autant que le légitimisme des Anglais. L’étalage sans pudeur de la vie intime du Prince, les attaques contre la famille royale apparaissent d’autant plus indignes que ni le Roi ou la Reine, ni le Prince de Galles mis en cause pour une prétendue rixe avec son frère, ne sauraient répondre publiquement aux accusations ou aux critiques dont ils font l’objet. Quelle que soit la souffrance que l’enfant préféré de la Princesse Diana ait enduré, en ces temps difficiles que traverse le Royaume, il apparaît mal venu au peuple anglais que le Duc et la duchesse de Sussex qui ont volontairement renoncé à leurs fonctions officielles pour un exil doré aux Etats-Unis, fassent commerce de leurs humeurs.
Certaines révélations du livre peuvent avoir des conséquences politiques. Le port du costume nazi par le Prince irrite les anciens de la Royal Marine, indispose l’armée. Plus sérieusement, sa vantardise lorsqu’il avoue avoir tué 25 talibans lors de son passage dans les forces militaires britanniques en Afghanistan, est considérée comme une trahison par ses anciens camarades car généralement les soldats ne s’expriment guère sur ce sujet aussi bien par un code d’honneur coutumier que pour des raisons de sécurité. A cet égard, le gouvernement afghan a aussitôt réagi en faisant part de son intention de saisir la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, tandis que des partisans extrémistes ont brandi des menaces à l’égard du prince.
Jusqu’à présent la famille royale oppose le silence et la dignité à l’indécence du prince déchu. En 2021, le Palais déclarait que le Duc et la Duchesse de Sussex avaient confirmé à la Reine qu’ils ne seraient plus des membres actifs de la famille royale (working members of The Royal Family) et dès lors ils ne pouvaient plus assurer « les responsabilités et les devoirs d’une vie de service public » ; par conséquent les distinctions militaires honoraires et les patronages royaux leur étaient retirés pour être redistribués au sein de la famille royale. Harry et Meghan, partis à l’étranger, ont renoncé à leurs fonctions et à leur titre d’Altesses royales. Par là, ils renoncent au titre princier. Harry demeure un Prince par sa naissance et le cinquième dans l’ordre de succession au trône ; son épouse en revanche n’a plus techniquement le statut de princesse mais ils conservent tous deux leurs titres de Duc et Duchesse de Sussex ; seul le Parlement pourrait les déchoir de leur paierie. En revanche, le Roi Charles pourrait relever Harry de son titre princier, cependant cela pourrait être perçu comme une erreur sinon un abus au regard du précédent constitué par Diana après son divorce.
En principe, le Roi pourrait demander au Parlement de priver définitivement Harry et Meghan de leur titre ducal. L’octroi d’une paierie et du titre qui y est attaché est une prérogative royale mais la déchéance d’une paierie est compliquée et s’inscrit dans le mécanisme prévu par le Titles Deprivation Act de 2017 qui donne à la chambre des pairs un rôle primordial. Le texte précise que cette déchéance vise ceux qui pendant la Première Guerre mondiale auraient porté les armes contre Sa Majesté ou Ses alliés ou qui auraient rejoint les ennemis de Sa Majesté. La procédure supposerait donc une révision du texte ainsi que certains parlementaires l’ont demandé, notamment le député Tory de l’Île de Wight Bob Seely. Le gouvernement est attentif et réservé, le Premier ministre Rishi Sunak ne soutient pas l’initiative des parlementaires conservateurs à cet égard et il a même démis de ses fonctions un membre du gouvernement qui proposait le boycott de Netflix pour avoir diffusé des documentaires et une série dans lesquels Harry et Meghan critiquaient les institutions britanniques.
Il est certes peu compatible avec la dignité ducale et de pair d’Angleterre de concentrer ses attaques sur la famille royale tout en usant des titres octroyés par le monarque mais en réalité cela supposerait des intéressés un renoncement formel à leurs titres. Une intervention du Roi ouvrirait sans doute des discussions et des procédures parlementaires et judiciaires qui ne sont pas souhaitables. En effet, d’autres membres de la famille royale pourraient alors être mis en cause tel le Prince Andrew ou Sarah Ferguson… or déjà les gazettes spéculent sur le fait que le Roi n’accorderait pas un titre princier aux enfants de Meghan, Archie Harrison Mountbatten-Windsor et sa sœur Lilibet… Vraisemblablement aucune initiative de cette nature ne sera prise avant le Couronnement.
Dans le régime monarchique, le comportement des princes ne relève guère de la justice des hommes mais toujours de l’honneur et de la conscience qu’ils devraient avoir de leur condition. En cela, il se distingue de ce que les auteurs anciens appellent la vertu dans les démocraties, vertu si dangereusement malmenée de nos jours. Dans une monarchie, l’honneur et le devoir d’assurer la stabilité de l’État et de la nation sont les vertus des princes. Le Duc de Sussex devrait y penser…
Jean Yves de Cara
Professeur Agrégé des Facultés de droit. Membre de Littleton Chambers, Barristers, London Ancien Directeur exécutif de l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi. Président du Conseil scientifique de l'OEG.